Frédéric Lefèvre (à gauche)
Directeur de l’Institut ICARE (Institut Coopératif de l’Apprentissage, de la Recherche et de l’Enseignement). Ancien athlète de haut niveau, il a participé aux JO, aux championnats du monde et d’Europe aux côtés de Madame la ministre. Il possède un diplôme universitaire en sciences de l’éducation et une formation d’ingénieur en formation adulte centré sur l’andragogie (formation, transformation et pédagogie de l’adulte). Il est également maître-nageur.
Éric Poignant (à droite)
Instructeur fédéral de la Fédération française de natation et aisance aquatique. Maître-nageur et responsable du pôle aquatique Grand Paris Sud qui compte 23 agglomérations situées entre la Seine-et-Marne et l’Essonne. Il fut également enseignant chercheur en sciences sociales.
Qu’est-ce que l’aisance ?
FL : Nous nous apercevons que l’aisance est toujours liée à la motricité et à la notion d’espace. Nous sommes à l’aise car nous nous trouvons dans un équilibre qui nous est favorisé par un espace disponible où nous ne sommes pas contraints. Prenons l’exemple d’enfants qui rentrent dans une nouvelle maison. Certains sont des « explorateurs », qui visitent instinctivement. D’autres restent accrocher aux parents et ont besoin de temps pour prendre leurs marques. La démarche d’aisance est d’expliquer qu’il n’y a pas de niveaux, chaque enfant évolue à partir de ce qu’il est. Nous lui proposons, lui suggérons, l’invitons. Il veut faire, il fait. Il ne veut pas faire, c’est qu’il n’a pas résolu le problème qui est lié à sa gestion de l’espace. Ce n’est pas qu’une somme de compétences, c’est un état, celui d’être à l’aise et cela doit passer par l’action et le respect du rythme des transformations de l’enfant par lui-même et pour lui-même.
L’aisance, c’est permettre à l’enfant de pouvoir, s’il chute par inadvertance dans un milieu aquatique, de se laisser remonter à la surface sans paniquer, sans agitations particulières, de se mettre sur le ventre ou sur le dos, attendre les secours, et si c‘est possible rejoindre le bord et s’en sortir.
Quelle est la démarche d’ICARE ?
FL : L’institut est installé depuis 20 ans à Dinart. Nous travaillons avec des petites, moyennes et grandes sections sur un enseignement massé et précoce de l’aisance aquatique. Il ne s’agit pas de former des nageurs mais de jeunes enfants qui vont acquérir, par l’expérience, sur une semaine, le corps flottant. La science nous dit que le corps flotte mais en réalité les enfants finissent quand même par se noyer et ce n’est pas du tout un problème lié à l’anatomie, la physiologie, la mécanique ou autre. C’est lié à un problème psychologique. L’enfant se noie parce qu’il ne sait pas qu’il flotte.
La démarche d’ICARE est de construire par l’action et la réussite en action des enfants, l’expérience suffisante pour qu’ils explorent la grande profondeur. Nous nous basons sur le spontané et à partir de ce que l’enfant sait déjà faire, il construit son référentiel aquatique. Apprendre sans matériels de flottaison, qui se substituent à une fonction de l’enfant, pour lui permettre d’expérimenter son corps flottant. Il faut travailler avec l’enfant et par l’expérience, il va lever toutes ses angoisses psychologiques qui peuvent être liées au milieu et à un blocage psychomoteur. S’il a peur de descendre dans l’eau, c’est parce qu’il ne sait pas qu’il peut en ressortir. On ne peut pas dire à un enfant, « n’aies pas peur, tu flottes », car une peur est liée à une incertitude posturale. Il ne sait pas comment se comporter dans une position où il y a trop de variations. C’est là que le sentiment d’angoisse arrive. Si nous montrons par la motricité qu’en fait, c’est possible, nous faisons diminuer l’affect, les angoisses et nous favorisons l’action. Nous ne pouvons transformer l’inconnu en connaissance qu’à partir du moment où nous sommes en expérience. Avec les enfants, ça ne peut pas passer par du discours, du cognitif, par de l’intellectuel. Ça passe forcément par de l’action, par l’habilité motrice, par le développement psychomoteur qui vont permettre une libération de l’action, d’une motricité plus vaste qui élimine la frustration. Quand l’enfant sait que le corps flotte, c’est acquis à vie.
Comment êtes-vous arrivé sur le projet ?
FL : Au vu des résultats que nous obtenons auprès des élèves, le ministère nous a contacté pour mener une classe expérimentale, basée sur notre expérience. Nous organisons des colloques, des séminaires et récoltons des données objectives probantes quantifiables et qualifiables. Il nous fallait aussi prouver et passer de l’expérience à l’expertise. Nous avons accompagné le projet de la Ministre, tout d’abord parce qu’il nous tenait à cœur sur un plan éthique et professionnel. Il faut précocement pouvoir intervenir d’autant qu’il y a une recrudescence des activités de loisirs des particuliers et de la construction des piscines privatives et à usage collectif. Ce plan national vise à lutter contre les noyades, première cause de mortalité des – de 25 ans, et plus précisément des 4-6 ans. C’est un enjeu à la fois de santé publique et de protection de la population. La Ministre des Sports s’en préoccupe. Nous ne pouvions que soutenir l’action avec tous les collègues du territoire national.
Comment s’est déroulée cette semaine ?
EP : Les enfants ne partent pas de rien, ils partent déjà d’une motricité. Nous devons arriver, avec eux, à coconstruire une aisance aquatique. Au début, les enfants ne voulaient pas rentrer dans l’eau sans brassards et la moitié d’entre eux ne voulaient pas immerger leur visage. Petit à petit, en enchainant des séances de 30 à 40 minutes, nous sommes arrivés à ce qu’ils le fassent et qu’il se déplacent dans l’eau.
Comment s’organisent vos actions dans l’année ?
FL : L’institut ICARE a été déployé sur plus d’une trentaine de classes bleues en France et en outre-mer. Nous avons eu l’occasion de former des instructeurs et des gens qui avaient déjà de très bonnes bases du métier et qui, en sciences sociales, travaillaient sur cette problématique. Mais il nous faut coordonner notre démarche pour permettre la libération des enfants dans l’apprentissage et cela passe par la libération des enseignants.
Lors de ces formations, nous formons 20 à 25 stagiaires venant de l’ensemble du département ou de la région. Le déploiement de l’apprentissage se fait ensuite par tous les stagiaires qui retournent dans leurs établissements respectifs. La Fédération française de natation compte à peu près 90 instructeurs. Nous formons également des instructeurs de la Fédération française de triathlon. Nous avons aussi commencé à former des instructeurs et conseillers pédagogiques de circonscription et de département de l’Éducation Nationale.
Ce sont souvent des initiatives départementales ou régionales qui dépendent des acteurs, des colorations des coordinateurs et des instituts. Il y a des classes bleues qui sont rattachées à la période scolaire où les écoles viennent en piscines. Il y a aussi les stages bleus pendant les séjours d’accueil collectifs de mineurs. Sur cette période-là, les enfants peuvent venir de manière massée et précoce pendant les vacances scolaires.
Comment expliquer le manque d’aisance ?
FL : Il existe autant de freins structurels, car il n’y a pas assez de piscines, que culturels car les gens ne sont pas à l’aise, ou sont insuffisamment ou pas formés. Certaines écoles ne vont pas à la piscine parce que c’est une discipline angoissante. C’est compliqué de dire aux professeurs d’aller enseigner l’aisance aquatique alors qu’eux-mêmes ne sont pas très à l’aise avec la matière et ont peur de l’eau. Il faut passer par la formation et l’expérience. Et là, en revanche, c’est une compétence, c’est au-delà de l’état.
EP : Il y a des moyens pour suppléer au manque de piscines publiques. Il y a un maillage qui a été mis en place par le ministère. Aujourd’hui, la Ministre souhaite que le moindre m3 d’eau soit utilisé, y compris ceux des piscines privatives.
De plus, il y a un vrai travail qui est fait sur les équipements itinérants en région, c’est ce que nous appelons les bassins d’apprentissage mobiles (BAM). Ces bassins peuvent aller partout, dans des gymnases ou dans les écoles. Ils sont même utilisés pour des projets à l’international. Nous avons par exemple, une coopération avec le ministère de l’Europe et des affaires étrangères pour aller faire de l’aisance aquatique à Dakar et sa région.
FL : L’idée est d’optimiser le maillage d’équipements existants en utilisant notamment les équipements de l’armée non utilisés.