Quel technicien a réellement le temps d’analyser les différents paramètres de l’eau de la piscine de ses clients avant toute action ? Ou ne maîtrise pas encore suffisamment les fondamentaux de la chimie de l’eau pour en interpréter correctement les résultats ? Une situation que constatent régulièrement les experts avec à la clé, des problèmes d’eau déséquilibrée, une forte insatisfaction des clients qui ne peuvent pas se baigner, une consommation excessive de produits pour tenter de corriger le problème et un risque réel de dégradation ou de perte de garantie fabricant sur le matériel ou le revêtement.
Avec Christel Ageorges, Laurent Azam et Xavier Darok.
Le constat : des problèmes d’analyse et d’interprétation
■ Une insuffisance d’analyse
Nos experts se sont aperçus que les ventes de produits (bandelettes, pastilles) et de matériel d’analyse (photomètre, pH-mètre, stylo testeur…) n’augmentent pas proportionnellement au nombre de bassins à traiter. Il semblerait donc que l’eau du parc de piscines privées ne soit pas analysée suffisamment régulièrement.
Ils remarquent également que l’analyse complète de l’eau se fait surtout en cas de problème et ne fait pas encore complètement partie de la routine des techniciens de maintenance.
■ Le Ok pour chaque paramètre ne signifie pas le Ok général : valeurs limites et interprétation
Autre problème évoqué, un défaut d’utilisation par les techniciens d’outils professionnels comme les photomètres pour vérifier les résultats d’un test bandelette. Soit parce qu’ils ne se réfèrent qu’à cette seule analyse, soit parce qu’ils ne disposent pas d’un tel appareil lors de leur intervention – leur entreprise n’ayant pas investi dans l’équipement de chacun de ses techniciens – soit parce qu’ils ne maîtrisent pas leur utilisation (cf. Photomètres : attention à l’entretien et à l’étalonnage ! – L’activité Piscine n°132).
Or, comme évoqué dans de précédents articles, si la bandelette est un outil pratique pour disposer d’un aperçu rapide des principaux paramètres de l’eau et aider à identifier un problème, elle n’offre pas une mesure suffisamment fiable pour valider un diagnostic précis. Il peut être difficile de comparer les couleurs qu’elle affiche à celles de référence, rendant parfois approximative l’interprétation des résultats.
Quant aux valeurs OK affichées sur les boites de bandelettes, y compris pour les valeurs limites, elles peuvent également induire en erreur un technicien, si elles ne sont pas analysées dans leur ensemble. En effet, ce n’est pas parce que le pH, le TAC ou le chlore libre sont dits OK, que l’eau de la piscine est équilibrée ou saine. Si l’un est en limite basse, et l’autre en limite haute, cela peut dissimuler un problème qui ne peut être identifié, en réalité, qu’en analysant précisément plusieurs paramètres et dans un contexte.
Exemple 1 : l’eau est verte et le piscinier n’arrive pas à la récupérer. Pourtant la bandelette affiche des valeurs OK, y compris pour le pH. Le problème ? Un pH supérieur à 7,8, valeur au-dessus de laquelle le chlore est rendu inefficace.
Exemple 2 : l’eau se trouble et commence à verdir alors que tout semble OK sur la bandelette. Un taux de chlore libre OK à valeur basse et un taux de chlore total OK en valeur haute (si présent sur la bandelette) indiqueront un taux de chlore combiné élevé. Seul un traitement correctif basé sur des résultats photométriques (DPD1 et DPD3) permettra de corriger le problème.
Exemple 3 : des plis ou des taches sur les liners alors que le pH et le TAC sont OK. Ces problèmes sont liés à un déséquilibre de l’eau. Un pH et un TAC indiqués OK sur la bandelette ne donnent généralement pas une eau équilibrée (selon la balance de Taylor ou l’indice de Langelier) ; seule une analyse photométrique du pH, du TAC et du TH permettra de déterminer l’état de l’équilibre de l’eau afin d’empêcher ces phénomènes.
■ Avez-vous vu un flash ?
Lorsque vous réalisez une analyse de chlore libre avec une bandelette (ou une pastille de réactif), il est important de ne pas la quitter des yeux au moment de la tremper dans l’eau. En effet, si en moins d’une seconde la bandelette se teinte et se décolore ou qu’apparaissent et disparaissent quasi instantanément des filaments violets dans l’éprouvette de test – d’où la notion de flash – c’est qu’il y a un problème d’eau. Un problème que vous ne pourrez pas identifier puisque la réaction aura été ultra-rapide et qu’elle vous aura peut-être échappée. Il est donc essentiel de bien observer l’entrée en contact de l’eau de la piscine avec le réactif et, en cas de doute, de réaliser un test photométrique.
Autre problème, en cas de surchloration, le réactif peut être immédiatement détruit par le chlore. La bandelette ou la pastille semblera ne pas réagir alors que la valeur de chlore est pourtant trop importante.
Un contexte à prendre en compte pour interpréter des résultats d’analyse
■ Des paramètres à analyser dans leur ensemble et dans un contexte
Procéder à des analyses point par point, c’est bien. Pouvoir établir les bonnes corrélations entre les différents paramètres pour établir un diagnostic précis demande des compétences approfondies par de la formation.
Exemple 1 : une valeur de TAC de 18 °f peut paraître important, mais il ne faut pas pour autant le corriger avec de l’acide pour le faire baisser. Il faut le remettre dans son contexte en le couplant au pH désiré et à la dureté de l’eau (TH) à l’aide de la balance de Taylor pour vérifier le bon équilibre.
Exemple 2 : un taux de chlore libre compris entre 1,0 et 1,5 mg/l ne garantit pas une eau saine. Il est obligatoire de faire une analyse en chlore total (ajouter dans la même fiole, après analyse, une pastille de DPD3 et attendre 2 minutes) afin de déterminer le taux de chlore combiné et faire des appoints de chlore, si nécessaire, pour retrouver une eau saine.
La balance de Taylor (cf. L’activité Piscine 133 – Juillet/Août 2022), ou également l’indice de Langelier (ou indice de saturation) sont des outils essentiels du piscinier qui vont lui permettre d’expliquer à son client pourquoi les paramètres de l’eau doivent être alignés et comment les ajuster :
• La balance de Taylor permet d’identifier le pH d’équilibre (pHe) pour ajuster les paramètres de l’eau. Visuelle (à afficher dans le local technique) et facilement compréhensible par le client.
• L’indice de Langelier est un outil professionnel plus performant et à la base des logiciels de traitement de l’eau. Il indique l’état de l’équilibre calco-carbonique (eau corrosive ou entartrante) selon la température de l’eau (paramètre non pris en compte dans la balance de Taylor) en déterminant les niveaux de TAC et de TH selon le pH donné, pour savoir si des corrections sont nécessaires.
Attention : des taux trop élevés peuvent fausser la lecture des photomètres.
■ Des températures d’eau qui augmentent les problèmes et les déséquilibres
Avec le changement climatique et les records de température que nous connaissons, l’eau des piscines est plus chaude. Cela complique le travail d’entretien et demande davantage de compétences aux techniciens, la température influençant l’équilibre de l’eau en général et l’efficacité des produits de désinfection. On admet une consommation de 15 % de désinfectant en plus par °C supplémentaire de l’eau : ainsi une eau à 30 °C consommera 30 % de désinfectant en plus par rapport à la même piscine à 28 °C !
Les saisons de baignade sont également plus longues. Avec le chauffage et la couverture des bassins, les particuliers se baignent de mai à octobre alors qu’il y a quelques années, ils ne pouvaient le faire que pendant les trois mois d’été.
Tout cela demande aux pisciniers de modifier leurs habitudes et d’apporter des conseils adaptés à leurs clients.
■ Chaque piscine est différente !
Exposition aux éléments, environnement, volume et origine de l’eau à traiter, schéma de circulation hydraulique (skimmer, débordement, miroir, etc.), puissance de la pompe de filtration, type de filtre (sable, cartouches…), mode de désinfection (manuel ou automatisé), type de revêtement (PVC, minéral…), présence d’une couverture ou d’un abri, chauffage de l’eau, fontaine, etc. et le comportement des utilisateurs… sont autant d’éléments qui influent, chacun à leur manière, sur l’équilibre de l’eau. On ne traite pas une piscine avec liner comme un bassin avec un revêtement minéral. Ou une piscine à débordement comme un bassin avec skimmers.
Le piscinier n’a souvent pas conscience que les équipements périphériques vont perturber le traitement, y compris quand son client n’utilise que des galets. Plus la piscine est équipée et plus l’analyse est nécessaire.
Pour illustrer la problématique, prenons le cas d’une piscine chauffée :
• Conséquence 1 : du fait de la température plus élevée de l’eau, le galet fond plus rapidement (ce phénomène se manifestera aussi avec un abri).
• Conséquence 2 : pour maintenir la température de consigne, l’appareil va forcer la filtration et filtrer plus longtemps ; résultat, le galet se dissoudra encore plus rapidement s’il se trouve dans le skimmer.
• Conséquence 3 : la quantité de chlore présent dans l’eau sera plus importante qu’attendu et nécessitera d’effectuer une analyse avant d’ajouter un nouveau galet de chlore.
• Conséquence 4 : une surconsommation de produits (réflexe du galet par semaine) et un confort de baignade altéré par un taux de chlore trop élevé.
Il est donc indispensable d’interpréter les résultats dans chaque contexte de bassin.
Le point de départ : l’analyse à l’ouverture du bassin
■ Les bonnes valeurs
Ce sont celles qui sont fonction du bassin, de son utilisation, de son environnement et de ses équipements périphériques.
Que ce soit à la mise en eau de la piscine ou au moment de sa remise en route au printemps, il est essentiel de réaliser « de bonnes analyses pour communiquer ses valeurs au client et lui donner la bonne feuille de route pour la saison ». Cela passe donc par une interprétation professionnelle des résultats (valeur de pH, du TAC et de chlore adaptées) et du conseil d’expert.
Une piscine d’intérieur ? Le taux de chlore sera plus bas. Une forêt à proximité ? Le taux de désinfectant devra être plus élevé. Une eau trop chaude ? Envisager de traiter au brome. Etc. Si le client a été bien formé et conseillé, il analysera l’eau pour maintenir le bon taux de désinfectant et de pH.
Compte rendu de visite et carnet de bord : la traçabilité de vos interventions
Le premier réflexe à acquérir est de toujours établir un compte rendu de visite avec les résultats de l’analyse de l’eau. Pourquoi ?
• Pour laisser une preuve de votre passage au client avec les actions réalisées et vos recommandations. Cela le rassure, justifie le temps, le type et la quantité de produits utilisés et lui permet de savoir quoi faire ensuite (les bons gestes au bon moment…).
• De la traçabilité pour votre protection juridique : le carnet de bord, enrichi de vos comptes rendus, vous permettra, en cas de désaccord avec le client, de prouver que l’eau était à l’équilibre à votre dernier passage et que vous avez accompli votre devoir de conseil en lui indiquant ce qu’il convient de faire par la suite.
Illustration : si la maison du client est louée et le liner endommagé par un surdosage de chlore, comment prouver à l’expert que le pH était à l’équilibre et le taux de chlore dans la fourchette sans justificatif de passage détaillé avec vos recommandations et signé par le client ?
Attention également de ne pas faire apparaitre sur vos comptes rendus de visite des paramètres d’une eau déséquilibrée.
■ L’automatisation n’exclut pas l’analyse
L’automatisation bien installée et bien contrôlée limite les désordres dans la piscine et réduit les consommations d’eau, d’énergie et de produits. Malheureusement elle est souvent mal « utilisée » parce qu’elle nécessite que les techniciens de maintenance aient de solides compétences (et soient donc formés régulièrement).
La vérification du fonctionnement d’un appareil à l’ouverture du bassin est nécessaire mais elle ne dispense pas des analyses régulières et des recommandations. Si l’équilibre a été bien fait en début de saison, le système d’automatisation peut prendre le relai efficacement pour les analyses de routine et adapter l’injection ou la production de désinfectant.
Autre problématique constatée par nos experts : les appareils d’automatisation sont souvent installés avec leurs réglages par défaut. Or l’ajout de tout équipement, qu’il soit pourvu d’une sonde (cf. article « Capteurs, sondes, électrodes : de quoi parle-t-on ? ».
L’activité Piscine n°129 – nov-décembre 2021) ou non (pompe de filtration, abri, chauffage…) doit être accompagné d’une analyse de l’eau et d’un paramétrage des équipements d’automatisation. Ainsi, dans le cas d’une installation d’une régulation automatique de pH, il faut vérifier (et modifier le cas échéant) la valeur de consigne du pH en fonction du pH d’équilibre sous peine de déséquilibrer en quelques semaines l’équilibre de l’eau si la consigne pH « usine » est trop basse.
■ Les bons conseils aux clients avec des résultats d’analyse expliqués
Les particuliers ne reçoivent pas encore suffisamment d’explications et de recommandations pour la compréhension et la gestion des paramètres de l’eau de leur piscine et l’acquisition des bons gestes.
Ils devraient donc avoir connaissance des valeurs idéales à atteindre et à conserver en fonction de leur bassin, de son revêtement, de leur température d’eau, de l’environnement… Comprendre pourquoi leur pH baisse régulièrement ou pourquoi elle consomme davantage de chlore. Savoir qu’une sonde pH ne fonctionne pas si le TAC est inférieur à 2 ou 3 °f (20 ou 30 ppm) ou connaître la différence entre chlore total et chlore libre. Comprendre que la pompe doit fonctionner plus longtemps parce qu’il y a trop de pertes de charges ou adapter le traitement en présence d’un abri ou d’une couverture. Et être sensibilisés au fait qu’une analyse seule ne suffit pas, que l’interprétation et le conseil du professionnel sont régulièrement nécessaires. Un « guide d’utilisation de votre piscine » est généralement distribué par les professionnels adhérents de la FPP afin de faciliter le suivi du bassin. Ce guide reprend les explications données au moment de la réception de la piscine, les quelques opérations simples et nécessaires à une eau claire et limpide.
La gestion d’un parc de piscines : du temps et des compétences
■ Des compétences spécifiques pour la gestion des piscines
Le technicien chargé de l’entretien de la piscine et de la qualité de l’eau doit pouvoir comprendre l’ensemble du système de chaque client, quels que soient sa configuration et les équipements installés, et en identifier les contraintes et les faiblesses spécifiques pour « comprendre ce qu’il faut faire et comment le faire ». Il doit être également force de recommandation auprès du client en fonction de son budget, de ses besoins et de ses attentes.
Pour y parvenir, le technicien piscine doit maîtriser des compétences précises, les entretenir et les développer. Cela passe par de la formation régulière. Comment gérer l’entretien et la maintenance ? Quelles révisions faire chaque année et en cours de saison ? Comment bien faire la mise en route à la mise en eau et chaque année ? Comment installer, paramétrer et maintenir un système d’automatisation ?… Les sujets à étudier sont nombreux et les sessions de formation proposées ne sont pas toujours pleines alors que le besoin est énorme au regard de la croissance du parc de piscines français !
■ Du temps pour chaque piscine
Le traitement de l’eau est une science et demande du temps et du professionnalisme ; et l’analyse de ses paramètres est une porte ouverte sur le service.
Or, trop souvent, les chefs d’entreprise le considèrent comme une contrainte alors que si le travail a été fait correctement à l’ouverture de la piscine, le client n’aura pas de problème pendant la saison. Analyser les principaux paramètres, les interpréter et conseiller le client peut paraître chronophage mais, en réalité, cela évitera des interventions en urgence.
Et, surtout, la juste analyse avec le bon conseil, c’est moins de produits et plus de confiance dans son piscinier. Le client reviendra plus facilement en boutique pour acheter ses produits plutôt que d’aller en grande surface.
■ L’ère du contrat d’entretien avec assistance ?
Et si vous considériez l’entretien comme une activité à part entière ? Les périodes « mortes » sont de plus en plus courtes et les saisons de plus en plus longues. Et l’automatisation simplifie les interventions, avec ses alertes et ses recommandations. Comme dans l’automobile, elle implique un entretien et des révisions régulières (nettoyage des sondes, calibrage et hivernage…). Pourquoi alors ne pas proposer des contrats d’entretien avec assistance ?
Avec Christel Ageorges, experte en piscines et spas, traitement de l’eau et formatrice, Dr Xavier Darok, Category Manager Water Care Europe, CF Group, Dr Laurent Azam, directeur de l’activité piscine et traitement de l’eau de Gaches Chimie