Passage incontournable pour tous ceux qui souhaitent exercer une activité au sein de locaux ne leur appartenant pas, le bail commercial vient de se voir réformer par plusieurs dispositions issues de la loi dite Pinel du 18 juin 2014.
Texte : Françoise Sigot
Contrat de location de locaux utilisés pour l’exploitation d’un fonds de commerce ou artisanal, le bail commercial permet de définir les droits et obligations de chacune des parties. La conclusion d’un bail commercial n’est donc possible que si le local est affecté administrativement à l’exercice d’une activité commerciale ou artisanale. Par ailleurs, il ne peut être signé que par un locataire inscrit au registre du commerce, quelle que soit la forme retenue pour l’exercice de l’activité. Et contrairement à une majorité de documents administratifs et commerciaux, celui-ci laisse une grande liberté aux parties qui peuvent multiplier à l’envie les dispositions incluses dans ce document. Il en va de même sur la forme, puisque le contrat de bail commercial n’est soumis à aucune forme particulière. Sa conclusion par écrit est toutefois vivement conseillée car elle apporte une sécurité, en prouvant son existence. Sur le fond, en revanche, les choses sont plus compliquées.
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La durée
Outre une disposition permettant de situer le local qui fait l’objet du contrat, le bail commercial va ensuite inclure une clause de “durée‿. En la matière, la loi est précise. « La durée d’un bail commercial est de neuf ans. Toutefois, le locataire a la possibilité de donner congé à son propriétaire tous les trois ans, alors que le propriétaire ne peut pas mettre fin au bail avant neuf ans », explique Maître Rodolphe Auboyer-Treuille, avocat au barreau de Lyon. En la matière, la loi Pinel apporte une modification importante. « Certains propriétaires pouvaient exiger une clause stipulant une durée ferme, avant laquelle leur locataire ne pouvait pas quitter le local. Désormais, cela n’est plus possible, sauf si vous louez un espace dans un immeuble de bureaux ou que le bail est conclu pour une durée supérieure à neuf ans », précise l’avocat. Un changement de propriétaire n’influe en rien sur la poursuite du bail et si le propriétaire du local décide de vendre en cours de bail, le locataire dispose d’un droit de préférence pour se porter acquéreur de ce bien.
Le loyer
Voilà certainement la disposition à l’origine de la plupart des conflits entre locataires et propriétaires : le montant du loyer. Le montant du loyer initial n’est pas réglementé, il appartient donc aux deux parties de s’accorder sur ce montant au regard des tarifs en vigueur au sein de la zone géographique où se situe le local et des caractéristiques dudit local. S’il s’agit d’un local vacant, une clause du bail commercial peut prévoir le versement d’un droit d’entrée, appelé pas-de-porte, au propriétaire des murs. Jusque-là, rares sont les litiges. En revanche, à l’heure de réviser le loyer et/ou de fixer le loyer du bail renouvelé, les problèmes sont souvent nombreux. « En l’absence de clause précisant si le locataire devra s’acquitter d’une augmentation de loyer et à quelle échéance, ce sont les dispositions légales qui s’appliquent. La révision dite légale du montant du loyer est prévue tous les trois ans. En fin de bail, cette augmentation de loyer est plafonnée à l’indexation du loyer prévu dans le bail », note Me Auboyer-Treuille, précisant que la loi Pinel a apporté des aménagements significatifs en la matière. « La loi Pinel a interdit le recours à l’indice du coût de la construction comme support à l’indexation des loyers commerciaux. Ces derniers doivent désormais être indexés selon les cas suivant l’indice des loyers commerciaux ou suivant celui des activités tertiaires. » Ces deux relevés sont établis chaque année par l’Insee et disponibles sur Internet notamment. Reste que si le bail commercial a été conclu pour une durée supérieure à neuf ans, le plafonnement du loyer s’éteint. Dès lors, le propriétaire est totalement libre d’appliquer la hausse qu’il estime nécessaire. « Un locataire a intérêt à ne pas conclure un bail commercial supérieur à neuf ans, car, sauf exception, le loyer restera plafonné. Dans le cas contraire, le loyer sera déplafonné lors du renouvellement et, sauf accord entre les parties, il faut souvent faire appel à un expert pour fixer un nouveau tarif », explique l’avocat lyonnais. En l’absence de plafonnement et donc d’indexation sur un indice, chaque partie avance ses arguments à l’heure de revoir un loyer. Ainsi, la modification des “facteurs locaux de commercialité‿, au sein desquels on classe pêle-mêle les dessertes de transports en commun, les parkings, les travaux faits ou pas pour embellir le local et bien d’autres, est prise en compte pour calculer à la hausse – ou à la baisse – le nouveau loyer.
Les charges
Dans le sillage du loyer, la répartition des charges est elle aussi source de litige. Peut-être moins avec la nouvelle loi Pinel et son décret d’application de novembre 2014 puisque si (presque) tout était jusque-là possible, avec ce texte, les choses deviennent plus transparentes. « Avant juin dernier, le propriétaire pouvait affecter l’ensemble des charges à son locataire, y compris l’impôt foncier à condition de bien préciser ceci dans le bail. Depuis la loi du 18 juin 2014 et son décret d’application, il est obligatoire d’inclure dans le bail un tableau récapitulatif de l’ensemble des charges pesant sur le local loué. Ce faisant, chacune des parties précise quelles sont les charges qui lui incombent », note le spécialiste du droit commercial. De quoi régler plus facilement les éventuels litiges.
L’état des lieux
C’est une autre nouveauté de la loi de Sylvia Pinel : un état des lieux est désormais exigé lors de l’entrée dans le local commercial et lors de la sortie. Semblable à celui établi lors de la conclusion d’une location de logement, ce document est réalisé soit de façon contradictoire et à l’amiable par le bailleur et le locataire, soit par un huissier de justice, à l’initiative du bailleur ou du locataire, à frais partagés par moitiés. Il doit être joint au contrat de location. À défaut, il doit être conservé par chacune des parties. Pour les baux conclus avant le 20 juin 2014, un état des lieux doit être établi lors de la restitution d’un local uniquement si un état des lieux a été effectué au moment de la prise de possession.
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Le dépôt de garantie
Voilà une clause souvent incluse dans les baux commerciaux, mais pour autant non obligatoire : le versement par le locataire d’une somme, librement fixée par les parties, visant à garantir au bailleur la bonne exécution du bail. Ce dépôt de garantie doit être remboursé au locataire quand il quitte les lieux et s’il a rempli ses obligations contractuelles. Le montant du dépôt de garantie est en général égal à un trimestre de loyer. En revanche, si le loyer est payable à terme échu, le dépôt de garantie s’élève fréquemment à deux trimestres de loyer. Dans tous les cas, le bailleur ne doit pas réclamer la TVA sur ce montant. Par ailleurs, si le montant du dépôt de garantie dépasse deux termes de loyer, il doit produire des intérêts.
La fin du bail
Conclu pour neuf ans, le bail commercial cesse donc de produire ses effets passé ce terme. Plusieurs cas de figure sont alors possibles. Le premier peut se traduire par le souhait du locataire de quitter le local commercial. Ce dernier devra alors en informer le propriétaire six mois avant l’échéance du bail. « Jusqu’à la loi Pinel, le locataire devait impérativement informer son propriétaire de son désir de mettre fin à la location par un acte d’huissier de justice. Depuis juin dernier, une lettre recommandée avec accusé de réception suffit. Toutefois, il est préférable de toujours passer par un huissier de justice, car c’est le seul véritable moyen de preuve devant un tribunal », conseille Me Auboyer-Treuille. Si le locataire souhaite prolonger la location, il a de même tout intérêt à le faire savoir à son propriétaire par un acte d’huissier de justice. Lequel acte le renouvellement du bail et formule la demande du montant du nouveau loyer. Reste enfin le cas de figure où le propriétaire ne souhaite pas renouveler la location. Il lui appartient de le faire savoir à son locataire par acte d’huissier ou par lettre recommandée au moins six mois avant la fin prévue du bail et d’indemniser ce dernier à travers une indemnité d’éviction dont le montant est calculé au cas par cas. Le locataire dispose de trois mois à partir du versement de l’indemnité pour libérer le local. Tant que l’indemnité ne lui a pas été versée, il ne peut pas être contraint de quitter les lieux.
Bien que prévu par le Code du commerce, le statut du bail commercial a la particularité d’être très aménageable. Les litiges sont donc nombreux, alors qu’un simple ajout d’une ou deux clauses essentielles et la relecture de ce document par un professionnel aguerri suffiraient parfois à éviter le recours à la justice. Et surtout de nombreuses faillites, car la perte d’un local mal anticipée et de surcroît avec de lourdes conséquences financières est souvent fatale à une petite entreprise.
Les pièges à éviter
Rester dans le flou quant aux conditions d’utilisation du local
Souvent, locataire et propriétaire ne précisent pas comment devra s’exercer l’activité du locataire au sein du local. Une source potentielle de litige ! S’il n’est pas besoin de se perdre dans les détails, mieux vaut en revanche être assez précis si le propriétaire souhaite par exemple interdire le stockage de certains produits dangereux ou bannir la réalisation de certaines activités porteuses de nuisances. À l’inverse, pour s’éviter de mauvaises surprises, le locataire peut lui aussi demander à ce que le propriétaire l’autorise, clause à l’appui, à stocker tels ou tels produits ou à réaliser dans le local telles ou telles activités.
Ne pas anticiper une fin de bail
À l’approche de l’échéance, il est conseillé au locataire de réagir. « Si le bail reste en l’état, il sera reconduit de façon tacite pendant trois ans, mais le loyer sera automatiquement déplafonné. Lorsque l’on est locataire, il vaut donc mieux prendre les devants et voir avec le propriétaire s’il accepte de relouer son bien et surtout à quel prix », estime Me Auboyer-Treuille. Une fois d’accord, rien n’oblige les parties à signer un nouveau bail, un simple avenant mentionnant le tarif du loyer suffit. En revanche, si locataire et propriétaire ne parviennent pas à trouver un terrain d’entente sur le montant du loyer, il leur faudra saisir le juge des loyers. Présent dans chaque TGI, celui-ci fixe les loyers commerciaux.
Signer un bail commercial devant notaire
Lorsque l’on est propriétaire, cette formule qui consiste à signer un bail commercial chez un notaire a l’avantage de pouvoir immédiatement engager une procédure d’expulsion à l’encontre de son locataire qui ne le paye pas, sans avoir besoin de saisir la justice. Pour le locataire en revanche, tout retard de paiement signifie une expulsion quasi immédiate.
Réaliser des travaux à la charge du locataire
Il arrive parfois que certains propriétaires laissent la liberté à leur locataire de réaliser des travaux dans le local. Travaux dont le locataire s’acquitte en général moyennant quelques mois d’exemption de loyer. Bien souvent, tout le monde trouve donc ainsi son compte dans cette situation, du moins jusqu’à la fin du bail… « Lorsque des travaux ont été réalisés dans un local, celui-ci s’en trouve bien évidemment modifié au regard de l’état dans lequel il était lors de la conclusion du bail. Pour la justice, ces modifications sont une cause qui entraîne un déplafonnement du loyer. Et ce, même si les travaux ont été payés par le locataire », souligne Me Auboyer-Treuille. Une double peine en quelque sorte pour le locataire qui a non seulement payé les travaux, mais voit en plus son loyer augmenter.