Tous les chefs d’entreprise le savent : en cas de mauvaises affaires, leurs biens personnels peuvent être saisis pour éponger les dettes. Pourtant trop peu s’organisent pour prévenir ces ennuis, alors que tout se joue bien en amont des problèmes.
À l’heure de lancer leur entreprise, rares sont les futurs patrons qui envisagent une fin difficile. Donc rares sont ceux qui s’organisent pour préserver leurs deniers personnels. À tort, car lorsque les problèmes surviennent, il est souvent bien trop tard pour sauver son patrimoine personnel. Et c’est bien en amont que cette protection doit s’organiser. « Plus on met les choses en place tôt, mieux c’est. En effet, en droit français, il existe une universalité et une indivisibilité du patrimoine d’une personne. Autrement dit, en cas d’erreur, un chef d’entreprise engage son patrimoine professionnel mais aussi personnel », résume Me Steve Jakubowski, avocat au barreau de Paris au sein du cabinet Avocats Picovschi. C’est donc lorsque l’on dépose les statuts de sa société que les bonnes questions doivent être posées. Et surtout résolues !
Bien choisir la forme juridique de son entreprise
La première question est celle du choix du type de structure que l’on souhaite fonder. En la matière, la responsabilité limitée est à privilégier. « Il existe deux types de statuts pour gérer une entreprise. Les premiers sont dits à responsabilité limitée. On y retrouve la SARL ou l’EURL. Les autres comme la SA ou la SAS ou les sociétés en nom collectif et en commandite sont dits à responsabilités indéfinies, c’est-à-dire que si le dirigeant commet une erreur, son patrimoine personnel peut être saisi pour combler les dettes de l’entreprise », explique l’avocat. Et parfois l’erreur est vite là, et un statut à responsabilité limitée n’est pas une protection tous risques. « Souvent, au sein d’une entreprise familiale, les chefs d’entreprise négligent l’organisation des assemblées générales. Ils omettent également de déposer leurs comptes. Ces manquements ne sont en général pas préjudiciables au bon fonctionnement de la structure, mais ils n’en constituent pas moins des fautes de gestion au regard de la loi. De fait, en cas de problèmes, le juge pourra les invoquer pour justifier une condamnation du dirigeant à rembourser ses dettes professionnelles sur ses deniers personnels », souligne Me Jakubowski. Adopter les bons statuts est donc un premier pas, mais il est tout aussi indispensable de s’entourer de bons conseils, notamment d’un expert-comptable au lieu d’un simple comptable, souvent d’un avocat, voire d’un notaire qui vont veiller à ce que les règles comptables et fiscales nombreuses et complexes soient bien appliquées.
Paramétrer le capital en fonction de l’activité
En marge de la forme juridique, la constitution d’une société implique de la doter d’un capital social. Pour nombre de futurs dirigeants qui se lancent avec peu d’apport, la formule de la “société à un euro‿ est tentante. D’autant que puisque la responsabilité du dirigeant est limitée aux apports dans une société à responsabilité limitée, beaucoup se disent qu’en cas de problèmes professionnels, ils échapperont aux problèmes personnels. Un bien mauvais calcul… « Le montant du capital est le gage des créanciers, il sera donc très difficile d’obtenir une ligne de crédit avec un capital à un euro », prévient l’avocat. C’est pourquoi mieux vaut, au départ, doter une entreprise d’un capital social conséquent, car moins le capital de la société est important, plus le dirigeant risque de devoir payer sur sa fortune personnelle. Par ailleurs, même si au départ, le capital social est peu important, rien n’empêche de faire varier son montant en fonction du développement de l’entreprise, afin de faire diminuer le risque d’engager ses propres deniers.
Adapter son régime matrimonial
Entreprise familiale ou pas, l’aventure entrepreneuriale impacte la vie de toute la famille. Les couples qui se lancent dans la création d’une entreprise doivent donc être extrêmement vigilants sur leur régime matrimonial. « Lorsque l’on dirige une entreprise, il faut rédiger un contrat de mariage, car à défaut, le patrimoine du conjoint pourra lui aussi être impacté si l’entreprise connaît des difficultés », alerte Me Jakubowski. La vigilance est également de mise sur le Pacs qui est assimilé au mariage. Les couples pacsés prennent donc le risque de devoir répondre d’éventuels problèmes financiers touchant l’entreprise de l’un d’entre eux sur l’ensemble de leurs deux patrimoines personnels. En revanche, célibataires et concubins échappent bien évidemment à cette menace.
Éviter les cautions
Lors de la création de la société ou au cours de son existence, rares sont les banquiers (s’il y en a) qui n’exigent pas des
dirigeants une forte caution personnelle ou un dépôt de garantie pour leur consentir une ligne de crédit. Et ce, même si
les affaires de l’entreprise sont florissantes. Et bien plus encore quand les premiers signes de faiblesse arrivent. Véhicules,
biens immobiliers, compte titres, oeuvres d’arts, la liste des biens pouvant faire office de caution est longue et variée. Mais elle met à mal la distinction entre patrimoines personnel et professionnel. « Il faut absolument chercher à limiter le montant de la caution personnelle, par exemple en acceptant de se porter caution sur le montant du capital, mais pas sur celui des intérêts», conseille l’avocat. Si l’on ne peut éviter la caution personnelle, il est impératif de bien veiller à ce que celle-ci ne soit pas transmise aux héritiers en cas de décès.
Quelques parades existent
Pour limiter les ennuis, quelques solutions sont néanmoins envisageables. La première passe par l’assurance. Bon nombre de compagnies d’assurance proposent en effet des contrats spécifiques permettant aux chefs d’entreprise de se prémunir en cas de dépôt de bilan. Une autre parade vise à réaliser un montage juridique articulé entre plusieurs sociétés. « Il est possible de créer plusieurs structures afin de morceler le patrimoine professionnel. Une première société peut par exemple abriter la réalisation des travaux de construction de piscines et une autre la vente des équipements, une autre encore la maintenance. Si une activité vient à être déficitaire, le dirigeant pourra ainsi très vite mettre fin à la vie de la société qui abrite cette activité avant d’avoir accumulé trop de dettes et sans impacter les affaires des autres branches d’activités », explique Mr Jakubowski. De quoi éviter d’avoir à combler d’énormes dettes sur son propre patrimoine. Au final, même s’il est possible d’échapper en toute légalité à la saisie de ses biens personnels, l’exercice requiert une parfaite organisation juridique et comptable. Et une vigilance de chaque instant car les obligations du dirigeant sont nombreuses et en perpétuelle évolution. Il est donc indispensable de s’entourer de bons conseils, afin d’éviter à tout prix la faute de gestion. Car si on ne demande pas au dirigeant d’être un gestionnaire hors pair, le juge sera sans pitié si celui-ci n’a pas su faire preuve d’honnêteté et de prudence. Et lorsque le jugement de liquidation tombe, avec à la clé l’accusation de fautes portée à l’encontre du dirigeant et sa condamnation à régler tout ou partie du passif sur ses deniers personnels, il est beaucoup trop tard pour pouvoir sauver son patrimoine personnel.
Le domicile personnel protégé
Instaurée par la loi Dutreil en 2003, la déclaration d’insaisissabilité du domicile personnel d’un entrepreneur permet de préserver son domicile des griffes des créanciers en cas de mauvaises affaires. Pour se prévaloir de ce droit, les chefs d’entreprise devaient jusqu’à l’été dernier faire devant notaire une déclaration d’insaisissabilité publiée au Service de publicité foncière et mentionnée dans un registre de publicité légale à caractère professionnel (répertoire des métiers, greffe du tribunal de commerce, etc.) ou dans un journal d’annonces légales pour les personnes non tenues de s’immatriculer (comme les agriculteurs). La loi Macron les affranchit de cette démarche. Depuis le 7 août dernier, le domicile personnel du chef d’entreprise est de droit insaisissable pour toutes les personnes physiques immatriculées au Registre du commerce et des sociétés (RCS), au répertoire des métiers ou au registre de la batellerie artisanale ainsi qu’aux personnes exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante : commerçant, artisan, auto-entrepreneur, exploitant agricole, etc. Si l’immeuble où se trouve la résidence principale a un usage mixte (cas d’un professionnel qui exerce son activité à domicile), la partie non utilisée pour un usage professionnel est également de droit insaisissable, sans déclaration préalable et sans qu’un état descriptif de division soit, comme avant, nécessaire. En cas de vente de ce domicile, le prix obtenu de la vente de la résidence principale demeure insaisissable si, dans l’année qui suit, les sommes sont réemployées à l’achat d’une nouvelle résidence principale. Il n’en reste pas moins que l’insaisissabilité n’est pas opposable à l’administration fiscale en cas de manoeuvres frauduleuses de l’entrepreneur ou d’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales.
Le piège de la sous-traitance
On ne compte plus le nombre d’entrepreneurs qui confient des travaux à un sous-traitant. Une solution à haut risque si le sous-traitant vient à déposer le bilan. En effet, entre autres obligations, le donneur d’ordres doit s’assurer que son sous-traitant remplit bien ses obligations vis-à-vis de l’administration fiscale et qu’il n’a pas recours à de la main-d’oeuvre dissimulée. Une mission pour le moins délicate, mais ô combien indispensable, car le donneur d’ordres s’expose à être
tenu, solidairement avec son sous-traitant en cas de condamnation de celui-ci, au paiement des impôts, taxes
et cotisations obligatoires, rémunérations, indemnités et charges dus. Autrement dit, même si les affaires du
donneur d’ordres vont bien, si celles de son sous-traitant périclitent, il peut être condamné à rembourser ses
dettes. Dans ce cas, le patrimoine personnel du donneur d’ordres n’échappera pas à la saisie si l’entreprise n’a pas les moyens de payer. Autant dire que la sous-traitance implique de s’organiser pour s’assurer en permanence que celui à qui on confie des missions est sans reproche.