Jusqu’ici, les entreprises et les particuliers commettant une erreur dans leurs déclarations fiscales ou sociales étaient considérés comme fautifs et donc sanctionnés. Désormais, les erreurs commises « de bonne foi » seront tolérées.
Un peu de bienveillance, c’est toujours bon à prendre, surtout lorsqu’il s’agit d’échapper à une amende de l’administration. C’est pourquoi à peine est-elle portée sur les fonts baptismaux que la nouvelle loi “Pour un État au service d’une société de confiance” est accueillie avec satisfaction. Pour l’heure, les décrets d’application ne sont pas encore parus, mais on peut déjà dessiner les mesures essentielles de ce texte. Selon le ministre de l’Action et des Comptes publics, cette loi est “une révolution dans les relations entre administrations et administrés”. Même sans y mettre autant d’enthousiasme, il faut reconnaître que le texte est de nature à faire évoluer les relations avec l’administration. En effet, jusqu’à aujourd’hui, toute erreur même signalée et rectifiée se payait cash.Désormais si la bonne foi de l’auteur de l’erreur est là, les sanctions seront fortement atténuées. Attention toutefois à ne pas se réjouir trop vite, un certain nombre de conditions doivent en effet être réunies pour que ces nouvelles dispositions s’appliquent. Et le droit à l’erreur ne vise pas l’ensemble des démarches administratives.
La bonne foi sinon rien
La notion majeure à retenir de ce nouveau texte de loi prend la forme de deux mots : “bonne foi”. Sans cette bonne foi, point de salut ! Autrement dit, la machine administrative s’appliquera comme avant sans aucune concession. Pour ce qui s’entend par “bonne foi”, le législateur procède à l’inverse en imposant désormais à l’administration de prouver la mauvaise foi du contribuable. « Jusqu’à présent, un contribuable qui se rendait compte qu’il avait fait une erreur hésitait à en informer l’administration, car la sanction tombait. Maintenant, l’administration estimera qu’il est de bonne foi », explique Me Steve Jakubowski, avocat au sein du cabinet Avocats Picovschi. Cette avancée devrait donc permettre aux chefs d’entreprise de faire part de leurs doutes avec plus de confiance. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : l’État souhaite encourager les déclarants qui se rendent compte d’une erreur à contacter ses services pour corriger cette erreur. Et si tel est le cas, l’erreur profitera à celui qui l’a commise et il échappera en partie à un redressement ou à une amende.
Des sanctions moins lourdes
Si l’auteur de l’erreur ne se rend pas compte de sa méprise et que cette dernière est mise à jour par l’administration, de nouvelles dispositions s’appliquent. Et elles aussi laissent le bénéfice du doute à celui qui commet l’erreur. Par exemple, en matière fiscale, les intérêts de retard seront réduits de 30 % si une erreur considérée de bonne foi est débusquée à l’occasion d’un contrôle fiscal. Si le contribuable rectifie de lui-même son erreur, la diminution des pénalités ira jusqu’à 50 %. Dans un autre domaine, à ce jour, lorsque l’inspection du travail constatait une anomalie au sein d’une entreprise, le dirigeant écopait d’une amende. Avec cette nouvelle loi, pour certaines infractions visant les modalités du décompte du temps de travail, la durée maximale de travail, les temps de repos, les salaires minima prévus par la loi et les conventions collectives, les règles d’hygiène et d’hébergement, les inspecteurs devraient se contenter de donner au chef d’entreprise un “rappel à la loi”. Sous réserve, toutefois, qu’il n’y ait pas d’intention frauduleuse. Le chef d’entreprise aura un délai pour se mettre en conformité avec les textes. Mais s’il ne le fait pas, les sanctions tomberont. Et elles seront fortes. Le plafond de l’amende sera ainsi majoré de 50 % en cas de nouveau manquement constaté sous un an à compter du jour de la notification d’un avertissement concernant un précédent manquement.
Le secteur de la construction visé par des dispositions spécifiques
L’un des articles les plus développés du projet de loi
« Pour un État au service d’une société de confiance » vise spécifiquement le secteur de la construction. Aucune disposition spécifique concernant le droit à l’erreur qui s’applique à ce secteur comme aux autres, mais une innovation de taille avec la notion d’obligation de résultats. Le maître d’ouvrage devrait être autorisé à déroger à certaines règles de construction, par exemple sur la qualité de l’air ou les normes anti-incendie, sous réserve qu’il apporte la preuve que les résultats obtenus seront équivalents à ceux découlant de l’application des règles habituelles. Cela étant, l’esprit de la règle semble bien là, mais l’incarnation de cet espace de liberté se fera avec des ordonnances. Une première ordonnance devrait être prise dans les trois mois suivant la promulgation de la loi pour fixer les dérogations à certaines règles de construction. Une seconde, qui modifiera le Code de la construction et de l’habitation, devrait généraliser le choix entre l’obligation de moyens et l’obligation de résultats.
Droit au contrôle
En marge d’un assouplissement des amendes en cas d’erreurs commises de bonne foi, la loi instaure le droit au contrôle. « Il s’agit d’un contrôle blanc qui permet de vérifier qu’une déclaration fiscale ou sociale est bien conforme aux exigences de la loi », note Me Jakubowski. De fait, ce droit permet à tout dirigeant quels que soient la taille de son entreprise et son secteur d’activité de demander à être contrôlé par l’administration fiscale
et/ou sociale. L’opération de contrôle se déroule alors selon un schéma classique pour ce type de procédure. Elle donne lieu à des conclusions qui seront opposables à l’administration.
Concrètement, si l’administration donne son blanc-seing lors d’un contrôle réalisé dans le cadre du “droit au contrôle”, elle ne pourra pas ensuite se contredire dans le cadre d’une opération de contrôle déclenché à son initiative. Cette disposition se fonde sur le rescrit, autrement dit la possibilité de poser une question à l’administration et de se prévaloir de ses réponses. Ce rescrit utilisé aujourd’hui par le fisc qui va donc être étendu à d’autres administrations, dont les douanes.
La médiation est encouragée
Si l’objectif majeur de la loi « Pour un État au service d’une société de confiance » est de rendre les relations moins conflictuelles entre l’État et ses administrés, elle vise aussi à désengorger les tribunaux. C’est pourquoi elle fait la part belle à la médiation. Cette disposition, déjà testée par l’Urssaf de certains départements, sera mise en place à titre expérimental pour quatre ans.
« En cas de litige entre une administration et une entreprise, les deux parties pourront trouver un accord à l’amiable via une procédure de médiation », synthétise Me Jakubowski. La médiation voit en outre son rôle élargi, et devient un lien entre les entreprises d’un secteur économique donné et l’ensemble des administrations. Enfin, dans le même domaine, le gouvernement souhaite développer le recours à la transaction entre les entreprises et l’administration, mais il faudra attendre les décrets pour que le mode de fonctionnement de cette mesure soit précisé.
Le cadre général du droit à l’erreurLe droit à l’erreur concernera l’ensemble du champ des politiques publiques pour les erreurs régularisables. Un retard dans un délai prescrit par un texte n’entre pas dans le champ du droit à l’erreur. Le droit à l’erreur ne s’appliquera pas dans quatre domaines :
- les erreurs qui portent atteinte à la santé publique, à l’environnement et à la sécurité des personnes et des biens ;
- les erreurs qui conduisent à contrevenir aux engagements européens et internationaux de la France ;
- en cas de sanctions prévues par un contrat ;
- lorsque les sanctions sont prononcées par les autorités de régulation à l’égard des professionnels soumis à leur contrôle.
Des contrôles moins longs pour les PME
Au-delà d’autoriser l’erreur, les nouvelles dispositions législatives visent aussi la simplification des démarches. Ainsi, la dématérialisation des échanges devrait être effective à horizon 2022 dans toutes les démarches administratives. Les administrations devraient aussi davantage communiquer entre elles, grâce à la mise en place d’interfaces numériques. Si ces promesses sont tenues, les entreprises n’auraient donc plus besoin de fournir les mêmes pièces justificatives à des administrations différentes.
Enfin, et cette disposition n’est pas la moindre pour les entreprises : dans les PME de moins de 250 salariés, la durée cumulée des contrôles de l’ensemble des administrations serait limitée à neuf mois sur une période de trois ans.
La récidive et la mauvaise foi lourdement condamnées
Tolérée, l’erreur ne deviendra en aucun cas un passe-droit. « Le droit à l’erreur n’est toutefois pas une licence à l’erreur : il ne s’applique ni aux récidivistes ni aux fraudeurs ! Le droit à l’erreur n’est pas non plus un droit au retard : les retards ou omissions de déclaration dans les délais prescrits n’entrent pas dans son champ d’application » a prévenu le ministère de l’Action et des Comptes publics lors de la présentation de cette loi. Le droit à l’erreur ne pourra pas non plus être revendiqué partout (voir encadré). Et même au sein de domaines concernés par le droit à l’erreur comme le droit du travail, certaines obligations, à l’image des déclarations préalables à l’embauche, ne feront l’objet d’aucune complaisance de la part de l’administration. Enfin, si l’erreur devient un droit, les contribuables, entreprises et particuliers, considérés comme étant de mauvaise foi se verront infliger des sanctions plus lourdes qu’aujourd’hui.
Ce texte de loi va encore faire l’objet d’ajustements et il faudra de nombreux décrets avant qu’il s’applique. Pour veiller à ce que ces promesses ne restent pas vaines, le gouvernement souhaite créer un Conseil de la réforme qui sera transpartisan et inclura des personnes de la société civile. Son rôle ? Suivre la publication des décrets et la rédaction des ordonnances, et évaluer les expérimentations.
Texte : Françoise Sigot