Quand l’activité piscine frappe à sa porte, Christophe Giraud a 23 ans et déjà beaucoup de responsabilités avec la reprise de l’entreprise familiale. Intéressé par la diversité et la complexité du métier, il se lance dans l’aventure et crée une enseigne dédiée, Cognac Piscines.
Propos recueillis par Carine Dal Gobbo
Un drame fondateur
« À la base, je possède une formation bâtiment. J’ai successivement obtenu un CAP maçonnerie, un BEP maçonnerie et enfin un BP en gros œuvre passé dans un lycée technique spécialisé dans le bâtiment. À la fin de mes études et après mon service militaire, j’ai intégré une entreprise de construction, une enseigne nationale, avec l’objectif d’obtenir le poste de chef de chantier. Le destin en a voulu autrement. Un an après m’être installé à ce poste, en 1991, j’ai malheureusement perdu mes parents, victimes d’un accident de la route. Ils étaient artisans et possédaient une entreprise de second œuvre. J’ai, bien évidemment, laissé tomber tout ce que j’étais en train de faire pour revenir en catastrophe auprès des miens m’occuper de l’entreprise familiale le temps d’y voir plus clair. Cet événement a pris une tournure encore plus catastrophique car nous devions simultanément faire face à un long procès douloureux et coûteux, une succession à mener, une procédure de sauvegarde de l’entreprise et un redressement judiciaire. À l’époque, j’avais 21 ans et la vie démarrait sous les plus mauvais auspices. »
Du second au gros œuvre
« Suite à cette tragédie, nous nous sommes efforcés de faire avancer l’entreprise malgré tout. Nous ne nous sommes pas tout de suite orientés vers la piscine mais plutôt vers le bâtiment. Nous avons décidé de repositionner l’entreprise de second œuvre de mes parents vers le gros œuvre et d’en faire une entreprise générale du bâtiment. Nous sommes heureusement parvenus à sauver la société, cela a pris plus de 5 ans, mais nous avons réussi à tout remettre à plat et sommes repartis sur de bonnes et sereines bases de travail. »
Le pied à l’étrier
« Le secteur de la piscine, je l’ai découvert grâce à un monsieur qui, un jour, a poussé la porte de mon bureau. C’était un chargé d’affaires pour une entreprise qui avait la particularité d’avoir deux activités : une activité principale et une activité piscine qui leur permettait de combler la saisonnalité de leur première activité. Ce monsieur recherchait une entreprise de bâtiment pour la construction des bassins. Cette rencontre a tout déclenché. J’ai découvert l’ouvrage piscine grâce à des personnes très sérieuses et très compétentes auprès desquelles j’ai appris de nouvelles pratiques. Notre collaboration a duré 2 ans, tout se passait très bien. Venant du milieu du bâtiment, le second œuvre avec l’entreprise familiale et le gros œuvre avec ma formation, j’avais l’habitude de choses assez techniques, de travailler avec tous les corps d’état. J’ai retrouvé cette spécificité dans l’activité piscine puisque cette dernière regroupe plusieurs métiers : jardin, terrassement, construction, étanchéité, hydraulique, électricité, thermique, chimie, traitement de l’eau. C’est cette complexité technique, qui nécessitait d’avoir des compétences sur plusieurs domaines, qui m’a le plus plu et avec laquelle je me suis senti le plus à l’aise. Malheureusement, un jour, cette personne est venue me voir en me disant que leur première activité, leur cœur de métier, allait se développer assez fortement et qu’ils devaient abandonner l’activité piscine. Ce n’était pas une bonne nouvelle car nous travaillions bien ensemble et j’appréciais échanger avec ce contact. Constatant ma déception, il m’a conseillé de m’intéresser au secteur de la piscine car j’étais jeune, 25 ans à l’époque, et qu’il y avait, selon lui, certainement des choses à faire. »
Un pari gagnant
« L’idée a fait son chemin. La collaboration avec cette entreprise nous avait donné de l’assurance. Elle nous a envoyé quelques clients. Nous avons commencé à proposer, sans aucune prétention, une activité piscine, plus pour un complément à ce que nous faisions. Rapidement, nous avons senti que nous répondions à un besoin. Nous nous sommes fait un peu connaître et nous sommes passés de 6 piscines à 10 puis 15. En l’espace de deux ans, nous avons clairement compris qu’il y avait un manque au niveau des entreprises parce que nous étions très demandés. Nous avons alors créé notre enseigne Cognac Piscines afin de séparer la partie bâtiment de la partie piscine. Je ne voulais pas que les clients s’y perdent et se demandent ce que nous faisions : Bâtiment ? Construction ? Rénovation ? Piscine ? Nous nous sommes donc organisés en dédiant des équipes. Nous avons pris beaucoup de plaisir à développer cette activité dans laquelle nous nous sommes tous, très vite sentis à l’aise. Nous étions en mesure de fournir une prestation sérieuse, avec une qualité de travail que j’avais envie de proposer. Nos bons résultats nous ont poussés à poursuivre dans ce sens.”
25 ans de progression
« Notre activité piscine s’est tellement développée ces 10 dernières années, que, progressivement, elle a fini par absorber notre activité bâtiment. Elle occupe aujourd’hui l’ensemble de nos équipes à 100 %. Nous proposons de la piscine coque et de la piscine béton armé. Nous faisons tout en interne : terrassement, pose d’étanchéité (membrane), construction, dépannage, entretien, pose d’équipements etc. Nous sommes passés de 20 à 30 piscines puis de 30 à 40, pour arriver aujourd’hui à entre 120 et 140 piscines neuves et à peu près d’une quarantaine de rénovations (du remplacement de liner à une transformation complète du bassin). Aujourd’hui, la construction représente 80 % de notre activité, et la rénovation, 20 %. Nous ne proposons que très peu de contrats d’entretien annuel, à destination principalement des professionnels (hôtels, kinés…) et de quelques particuliers en cas de besoin spécifique. Nous limitons ce type de service, à la forte saisonnalité à partir du mois de mai, car il demande du temps. En revanche, nous effectuons environ 250 remises en service et autant d’hivernages. Nous possédons également un magasin de 300 m2 géré par une responsable et par une personne au secrétariat/accueil. Sur la partie commerciale, deux personnes assurent les rendez-vous extérieurs et les études de projet. Nous avons trois équipes de pose qui sont spécialisées selon les produits et trois techniciens qui tournent en permanence pour assurer la maintenance. Un premier qui s’occupe à 100 % des entretiens et rend visite à de 5 à 7 clients par jour. Un deuxième qui se charge des liners à temps complet depuis avril-mai. Et un dernier qui intervient principalement pour des dépannages. Nous avons également une équipe dédiée aux finitions. Cognac Piscine rassemble aujourd’hui une quinzaine de personnes avec mon épouse et moi-même. Quand j’ai repris, nous étions trois.J’ai de la chance d’avoir une équipe assez complète, constituée de personnes compétentes avec lesquelles je prends beaucoup de plaisir à travailler. »
Une question de temps
« Pour définir notre zone géographique, nous ne parlons pas en kilomètres mais en temps. On s’est donné un rayon de 1 h de route maximum, ce qui nous permet de couvrir toute la Charente. À Cognac, nous sommes vraiment à l’ouest du département et aux portes de la Charente-Maritime, dont nous couvrons aussi la moitié du territoire. Un secteur assez large en somme. Au fil des ans, notre clientèle s’est bien développée. En Charente, il n’y a pas de grandes villes. La préfecture, c’est Angoulême, avec 50 000 habitants. La concurrence existe mais l’offre est adaptée à la demande. »
Rester prudent
« Nous vivons de très belles années. Depuis 3-4 ans, c’est reparti à la hausse avec une forte progression. Nous sommes revenus à nos niveaux les plus hauts, comme nous en avons connu dans les années 2006-2007, voire même nous les avons dépassés. Ce n’est pas simple pour autant. Avec l’arrêt total et brutal dû au confinement, il nous a fallu stopper nos chantiers et nous y reprendre à 3 fois pour réorganiser nos plannings et l’ensemble de notre travail. Dès que nous commençons à bouger les dates, tout de suite, ça ne colle plus et cela entache un peu la sérénité, la dynamique… 2021 s’annonce très intense par la charge de travail, nous avons beaucoup de commandes et une bonne visibilité. Nous allons tâcher de rester très concentrés et attentifs pour mener à bien cette saison. C’est un défi. Nous passons un cap avec 140 piscines cette année, soit 2 piscines de plus par mois. Nous espérons qu’il n’y aura pas de pépin comme une panne, un accident ou du personnel en arrêt. Il y a en permanence des aléas, mais c’est aussi la joie de notre métier. Nous allons faire le maximum pour mener à bien tous nos projets, sans faire de promesses que nous ne pourrions tenir. J’ai prévenu tout le monde. Les équipes sont donc à 120 % de leurs capacités. Nous ne prévoyons pas de recruter pour répondre à plus de demandes. Il faut faire attention, ne pas s’enflammer. Le confinement l’a prouvé. Nous ne savions pas comment cela allait tourner. Les gens sont restés chez eux et certes, ils ont montré un intérêt plus important pour leur extérieur. Néanmoins, l’an prochain, les Français seront-ils aussi nombreux à vouloir une piscine ? Nous n’en savons rien. Nous préférons donc assurer, nous équiper encore mieux pour ne pas tomber en panne et être plus performants. Notre activité doit être maîtrisée pour ne pas épuiser les équipes. Il faut faire en fonction de notre outil de travail et de la volonté de chacun. Nous avons trouvé notre rythme de croisière. Nous faisons une belle saison et les projets ne manquent pas. Nous allons agrandir le magasin avec un espace dédié à l’exposition de l’activité spa. »
Une crise en chasse une autre
« Cette année 2021, nous vivons une autre situation inédite : nous avons des problèmes d’approvisionnement importants avec une volatilité des prix exponentielle. C’est la foire d’empoigne. Certains fournisseurs ont appliqué des augmentations sur des commandes qui étaient déjà passées. C’est un exercice assez pénible parce qu’il faut revenir vers les fabricants et les fournisseurs en permanence pour se tenir au courant des livraisons, car nous recevons les produits au compte-goutte. Ce phénomène va forcément avoir un impact sur nos résultats parce que nous allons perdre sur notre marge. Nous avons beaucoup d’avance sur nos carnets de commandes et nous ne pouvons pas impacter les devis, qui ont été acceptés. Nous ne pouvons pas les corriger, nos clients ne le comprendraient pas. J’espère que cela ne prendra pas plus d’ampleur. Malgré quelques problèmes d’approvisionnement et un peu de stand-by sur les chantiers, pour l’instant, nous nous en sortons car nous passons toutes nos commandes en pré-saison en fin d’année avec des cadencements et une capacité de stockage importante. Ce fonctionnement est plus prudent quand on a un planning chargé comme le nôtre : commander tôt, stocker pour avoir tout à portée de main lorsque commence le chantier. Il suffit qu’un transporteur se retrouve coincé et nous perdons du temps, c’est un mauvais calcul. L’anticipation est la clé. Il faut également savoir consacrer de la place au stock. »
S’habituer à l’imprévu
« Les années se suivent mais ne se ressemblent pas. Nous rencontrons toujours des situations particulières. Il y a trois ans, l’usine de l’un de nos fabricants a brûlé en plein mois de mai. Je dis souvent à mes équipes que dorénavant il faut s’habituer à faire face à des situations de crise en permanence. Les voyants ne peuvent pas toujours être au vert, il faut anticiper du mieux possible. C’est parfois usant. Mais le nombre d’années d’expérience de l’entreprise nous aide. Nous entretenons des partenariats forts avec certains fournisseurs privilégiés avec lesquels nous trouvons des solutions lorsque surviennent des problèmes. »
Une adhésion évidente
« Le métier de la piscine est un jeune métier. Venant du monde du bâtiment, j’ai toujours été habitué à faire partie d’une fédération. Il est important d’avoir une institution représentative de notre activité et de la soutenir. C’est par ce biais-là que nous allons professionnaliser notre métier et donner des repères aux jeunes générations de pisciniers. Elle a notamment permis de lancer les premières formations diplômantes. Mon épouse, qui fait partie du bureau d’administration, et moi-même sommes très actifs et consacrons du temps à la fédération. C’est pour nous très important. Je ne comprends toujours pas comment aujourd’hui on exige d’un coiffeur un brevet professionnel ou un certain nombre d’années d’expérience pour s’installer, alors qu’un boulanger peut devenir piscinier du jour au lendemain. Cette liberté dessert le métier et ne permet pas d’aller dans le bon sens. Il faut former et valoriser les jeunes en leur fournissant des salaires corrects, des bonnes conditions de travail dans un cadre défini pour leur donner envie de venir travailler dans cette branche d’activité. Nous aurons besoin d’eux, nous nous en apercevons déjà. Plus nous aurons d’outils et de gens vers qui se tourner ne serait-ce que pour un conseil, plus cela changera les choses. La fédération est d’autant plus importante que malheureusement, comme pour le bâtiment, les acteurs de la piscine ont du mal à se réunir. À l’inverse des hôteliers et des restaurateurs, qui savent se fédérer et échanger. Nous, nous ne savons pas le faire nous, et ce n’est pas bon. Nous partageons pourtant les mêmes préoccupations, cela ferait du bien d’en parler de temps en temps, d’échanger, de pouvoir se donner un coup de main, un conseil ou de se dépanner. Je nourris d’ailleurs une impatience profonde à l’idée de retourner au salon de Lyon. Cet événement m’a manqué, d’autant que j’ai l’habitude d’y emmener mes équipes, c’est convivial. J’ai vraiment hâte de retrouver les fabricants, les distributeurs, les grossistes, les négociants, etc. »
Soutenir les jeunes
« Mon expérience dans le bâtiment m’a beaucoup apporté pour l’activité piscine. Je me suis formé en autodidacte sur un certain nombre de compétences pour pouvoir bien former en interne les personnes qui travaillent avec moi. Nous avons par la suite embauché des gens qui avaient de l’expérience. La formation est importante. Malheureusement, nous sommes mal situés et desservis en Charente car nous n’avons pas de lycée technique à proximité proposant de formations dans ce domaine d’activité. J’ai l’exemple d’un jeune super motivé qui va nous rejoindre au mois de septembre. Il va devoir démarrer par un CAP plombier pour pouvoir accéder au BP. Nous avons essayé de l’aider dans ses démarches. J’ai moi-même appelé le lycée technique pour pouvoir le soutenir, j’ai beaucoup débattu. Il faut soutenir les jeunes. Si personne ne m’avait aidé il y a 30 ans, je n’en serais pas là aujourd’hui. »
Le mot de la fin
« Je suis très heureux de faire ce métier. Je prends beaucoup de plaisir, au quotidien, à travailler dans cette entreprise familiale avec mes équipes, mon épouse et depuis peu notre plus jeune fille. Que ça continue comme ça, car lorsqu’on travaille dans une bonne ambiance et avec sérénité, ça se ressent dans la qualité du travail et sur sa propre santé. »
Mon meilleur souvenir de piscinier
« Parmi tant d’autres, le souvenir qui m’a peut-être le plus marqué, c’est un chantier d’envergure pour lequel nous avons été retenus il y a 6-7 ans. Le projet était de réaliser, en 4 semaines, 17 piscines pour un village vacances. Cette structure comprenait des pavillons particuliers, chacun équipé d’une piscine coque privative. En principe, nous n’avons pas vocation à répondre à ce genre de projets, nous sommes plutôt spécialisés dans la piscine privée mais c’était un défi très sympa à relever, qui sortait de l’ordinaire. »
Cognac Piscines
66 A avenue de Barbezieux 16100 Châteaubernard
Création : 1997
Gérant : Christophe Giraud
Effectif : 15 personnes
Activités : construction (120 à 140 bassins par an), rénovation (40 bassins par an), maintenance