Travailleur indépendant, l’auto-entrepreneur noue parfois des liens avec son donneur d’ordres qui vont bien au-delà de la réalisation d’une prestation. La menace de la requalification en contrat de travail est bien réelle dans de telles situations.
Soumis à une forte saisonnalité de son activité, ce chef d’entreprise est un habitué de l’intérim. En 2015, en plus des intérimaires, il a fait appel à un jeune auto-entrepreneur. Lequel a pris en charge diverses missions aux côtés des salariés de la société et les intérimaires. Chacun œuvrant à sa tâche selon des horaires définis par le chef d’entreprise en utilisant du matériel mis à disposition par leur donneur d’ordres. Seule différence : chaque fin de mois, cet auto-entrepreneurfacturait ses prestations, là où les autres recevaient un salaire. Une organisation “retoquée” par l’Urssaf, qui lors d’un contrôle a requalifié le travail de l’auto-entrepreneur en salariat. Comme ce chef d’entreprise du BTP, nombreux sont les patrons qui se retrouvent en faute alors qu’ils font appel en toute bonne foi à des travailleurs indépendants ayant le statut d’auto-entrepreneur. Il faut dire que la frontière est parfois mince entre la façon dont un auto-entrepreneur doit exercer sa mission et ce que l’on demande à ses salariés.
UN CONTRAT
Pour respecter les règles, un employeur doit agir avec un auto-entrepreneur comme il le ferait avec n’importe quel autre fournisseur. « L’auto-entrepreneur est une personne physique qui exerce une activité commerciale à titre individuel. Le contrat qui le lie à son donneur d’ordres est un contrat d’entreprise défini par l’article 1710 du Code civil qui précise que le louage d’ouvrage est un contrat par lequel l’une des parties s’engage à faire quelque chose pour l’autre, moyennant un prix convenu entre elles », rappelle Me Nathalie Lailler, avocate au barreau de Caen. Ce contrat va donc définir l’objet de la prestation, les délais dans lesquels elle doit être réalisée et la rémunération qui en découle. Pour prévenir les litiges, ce contrat peut comporter quelques éléments de nature à bien “cadrer” la mission. Un descriptif précis des travaux à réaliser, comme les conditions nécessaires à réunir pour que les règles de l’art puissent être respectées, ainsi que l’organisation des modalités de contrôle qui peuvent être mises en œuvre par le donneur d’ordres ne sont pas des précautions inutiles, même si en pratique, ces éléments sont rarement portés dans les contrats entre auto-entrepreneurs et donneurs d’ordres. De même, le donneur d’ordres doit pouvoir s’assurer que l’auto-entrepreneur est bien à jour de ses obligations administratives, fiscales, sociales, comme il le fait avec n’importe quel autre sous-traitant quel que soit son statut.
INDÉPENDANCE
Le cadrage des missions confiées à un auto-entrepreneur est une première étape, mais il faut ensuite et surtout s’attacher à veiller à ce que chacun conserve son indépendance. À défaut, l’Urssaf requalifie la relation en relation salariée et un auto-entrepreneur peut aussi saisir les prud’hommes et demander à voir sa mission requalifiée en salariat. « À la différence du salarié, l’auto-entrepreneur exerce son activité en toute indépendance et sans lien de subordination avec son donneur d’ordres », observe l’avocate. Et c’est sur ce point que se greffent les principaux litiges avec l’administration et les auto-entrepreneurs. Un donneur d’ordres ne peut imposer à une personne sous statut d’auto-entrepreneur de respecter des horaires, ni des procédures en place et encore moins d’utiliser des outils appartenant à l’entreprise qui leur confie une mission. « Le manque d’autonomie peut alors être considéré comme flagrant et l’autorité exercée par l’entreprise considérée comme un lien de subordination qui est un élément caractérisant le contrat de travail », explique Me Lailler. Ainsi une entreprise qui travaille avec un auto-entrepreneur peut lui fixer des objectifs et un cahier des charges mais doit lui laisser une entière liberté sur son organisation comme sur les moyens à mettre en œuvre pour réaliser le travail qui lui est confié. À défaut, on entre dans le champ de ce que l’administration considère comme du salariat déguisé.
UN “FAISCEAU D’INDICES”
Reste que souvent, un chef d’entreprise a bien du mal à savoir s’il franchit la ligne rouge. Pour fonder sa décision, l’administration (en l’occurrence l’Urssaf et l’Inspection du travail) et les juges se réfèrent à une réponse ministérielle qui a listé un “faisceau d’indices” permettant de caractériser une relation salariée (voir encadré). En cas de contrôle, l’Inspection du travail ou les services de l’Urssaf scrutent avec attention plusieurs éléments. Le premier est l’antériorité de la relation entre l’auto-entrepreneur et l’entreprise. « Faire travailler d’anciens salariés sous le statut d’auto-entrepreneur est un critère auquel les juges et l’administration sont très attentifs, prévient l’avocate. De même si l’auto-entrepreneur n’a qu’un seul client, cela créait une suspicion forte de salariat déguisé. » Utiliser le matériel de l’entreprise pour mener à bien la mission qu’elle lui confie, respecter les mêmes horaires de travail que ceux des salariés et faire un compte rendu de chacune de ses journée au chef d’entreprise sont aussi des éléments de nature à prouver que la relation entre l’auto-entrepreneur et le donneur d’ordres est de nature salariée et non pas indépendante. Si ces éléments sont avérés, le lien entre l’entreprise et l’auto-entrepreneur sera requalifié en contrat de travail.
DES SANCTIONS IMPORTANTES
Dans ce cas, l’auto-entrepreneur peut être contraint de rembourser les éventuelles prestations sociales ou allocations chômage qu’il aurait touchées durant la période pendant laquelle il a travaillé en tant qu’auto-entrepreneur. Quant à l’entreprise, en agissant avec un auto-entrepreneur comme avec un salarié, elle s’expose à devoir rembourser l’ensemble des cotisations sociales sur les salaires recalculés par l’Urssaf. Cette régularisation, rétroactive, prend effet dès le premier jour de la relation de travail. L’entreprise est également passible d’une condamnation pour travail dissimulé. « Une entreprise condamnée pour travail dissimulé risque une sanction financière correspondant à six mois de salaire brut, mais elle s’expose également à des sanctions pénales qui peuvent aller jusqu’à 45 000 euros d’amende et trois ans d’emprisonnement. Ces sanctions peuvent être doublées en cas de récidive. Et elles peuvent être assorties de peines administratives, telles que l’inéligibilité aux aides à l’emploi et à la formation professionnelle, et l’exclusion de l’accès aux marchés publics, mais aussi de peines civiles comme l’interdiction des droits civiques », explique Me Lailler. Enfin, l’auto-entrepreneur peut aussi saisir le conseil de prud’hommes. Il peut ainsi demander une rémunération au moins égale au SMIC voire supérieure, si la convention collective applicable à l’entreprise avec laquelle il a travaillé prévoit un salaire minium supérieur. Le temps de travail peut également faire l’objet d’un litige et s’il parvient à prouver qu’il a travaillé plus que la durée légale, le salarié déguisé en auto-entrepreneur peut réclamer le paiement d’heures supplémentaires.
Enfin, si la collaboration entre les deux parties mises en cause s’est achevée et a été requalifiée en contrat de travail, la rupture sera assimilée à un licenciement avec à la clé les indemnités légales.
Compte tenu de tous ces éléments, travailler avec un auto-entrepreneur demande de la prudence. Chaque fois que l’on souhaite avoir véritablement la mainmise sur des travaux, à savoir pouvoir surveiller régulièrement un chantier, être présent aux côtés de ceux qui exécutent les travaux, donner des consignes, modifier le cours des tâches, il est préférable d’avoir recours à l’intérim ou à un contrat de travail.
En revanche, si l’on fait confiance à l’auto-entrepreneur et qu’après avoir cadré avec lui la nature des tâches à prendre en charge, le planning et la rémunération, on le laisse libre de s’organiser comme il le souhaite, cette formule est pertinente et sans risque.
Les “faisceaux d’indices”
Fixés par une réponse gouvernementale, ces indices sont ceux pris en compte pour requalifier – ou non – une collaboration avec un auto-entrepreneur en salariat :
- l’existence d’un contrat de travail ne dépend ni de la volonté des parties ni de la qualification donnée à la prestation effectuée mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité du travailleur ;
- l’initiative même de la déclaration en travailleur indépendant (démarche non spontanée, a priori incompatible avec le travail indépendant) ;
- l’existence d’une relation salariale antérieure avec le même employeur, pour des fonctions identiques ou proches ;
- un donneur d’ordres unique ;
- le respect d’horaires ;
- le respect de consignes autres que celles strictement nécessaires aux exigences de sécurité sur le lieu d’exercice, pour les personnes intervenantes, ou bien pour le client, ou encore pour la bonne livraison d’un produit ;
- une facturation au nombre d’heures ou en jours ;
- une absence ou une limitation forte d’initiatives dans le déroulement du travail ;
- l’intégration à une équipe de travail salariée ;
- la fourniture de matériels ou équipements (sauf équipements demandant des investissements importants ou de sécurité).
Les précautions à prendre
Pour se prémunir contre les requalifications et surtout les conséquences que cela entraîne, certaines précautions sont indispensables.
- S’assurer que l’auto-entrepreneur est régulièrement déclaré et à jour de ses obligations fiscales et sociales, et qu’il est assuré pour mener à bien les missions qu’il propose.
- Rédiger un contrat de mission qui prévoit ce que l’auto-entrepreneur doit prendre en charge et qui précise que l’auto-entrepreneur a obligation de résultat de sa mission.
- Prévoir dans le contrat les sanctions à appliquer en cas de non-respect des engagements (pénalités de retard par exemple).
- Fixer une rémunération forfaitaire et non pas un paiement en fonction du nombre d’heures de travail effectuées.
- Laisser l’auto-entrepreneur utiliser son propre matériel.
- Éviter de donner des consignes régulières à l’auto-entrepreneur, le contrat de mission est là pour cadrer la mission.
- Ne pas imposer d’horaires à l’auto-entrepreneur.
Françoise Sigot