Parfois délicate à cerner, la notion de santé au travail regroupe l’ensemble des dispositions permettant de protéger la santé des salariés. Un champ plus vaste qu’il n’y paraît, puisque la santé au travail va de la bien connue visite médicale d’embauche à l’ensemble des dispositifs qui peuvent être mobilisés pour accompagner les salariés dans un reclassement. Sur le fond, la loi El Khomri n’apporte pas de changements notoires aux dispositifs entrant dans le cadre de la santé au travail. En pratique en revanche, depuis le 1er janvier, de nouvelles règles sont de mise. Globalement, pour les employeurs, ces règles n’impliquent pas de bouleversements dans la gestion administrative de la santé au travail. Ainsi, l’employeur doit toujours s’acquitter d’une cotisation auprès d’un service de santé au travail dont la base de calcul est fondée sur le nombre de salariés de l’entreprise. Il peut varier d’une association à une autre. En effet, en France, les services de santé au travail sont organisés sur un modèle géographique et en fonction des secteurs professionnels, et chacun fixe le montant de l’adhésion. Cette obligation s’applique à partir du premier salarié et concerne aussi bien les collaborateurs en CDI qu’en CDD, à temps complet ou à temps partiel. En échange, le service de santé au travail s’acquitte des suivis nécessaires qui vont permettre de protéger la santé des salariés. Et c’est justement au panel de dispositifs permettant de garantir la santé des salariés au travail que la loi El Khomri apporte des changements. Lesquels vont principalement impacter les salariés, mais aussi pour certains le chef d’entreprise. Revue de détail.
LA VISITE D’EMBAUCHE SE TRANSFORME
Jusque-là, une des mesures essentielles de la santé au travail prenait la forme de visites médicales dont la première étape était la visite médicale d’embauche. Ainsi, avant de prendre un nouveau poste, chaque salarié rencontrait un médecin du travail qui, à l’issue d’un examen, le déclarait apte ou non à occuper son emploi. Depuis le 1er janvier, la visite médicale d’embauche est remplacée par une visite d’information et de prévention (VIP). Celle-ci n’est plus réalisée par un médecin du travail, mais par un professionnel de santé du service de santé au travail, autrement dit un médecin collaborateur, un interne en médecine du travail ou un infirmier, placé sous l’autorité d’un médecin du travail.
« Nous sommes face à une pénurie de médecins du travail, l’objectif de la loi El Khomri est donc de cibler le suivi des salariés qui en ont le plus besoin, c’est pourquoi la visite médicale d’embauche a été remplacée par une visite d’information et de prévention, laquelle n’est plus prise en charge par un médecin du travail. », explique Me Olivier Pouey, avocat au sein du cabinet Carler en charge du département droit social et santé au travail. Sur la forme, cette visite sera donc moins poussée que l’ancienne visite médicale d’embauche. Elle vise à interroger le salarié sur son état de santé, à l’informer sur les risques éventuels auxquels l’expose son contrat de travail, à le sensibiliser sur les moyens de prévention à mettre en œuvre, et à identifier si son état de santé ou les risques auxquels il est exposé nécessitent, le cas échéant, une orientation vers un médecin du travail qui lui fera subir un examen plus poussé. Reste que l’issue est la même qu’auparavant puisque le salarié ressort de cette VIP en étant déclaré apte ou non à son poste. Cette VIP doit avoir lieu avant la fin de la période d’essai du salarié, sauf pour les travailleurs de nuit ou âgés de moins de 18 ans, les femmes enceintes qui eux devront passer cette VIP avant de prendre leur poste. Une autre exception vise les postes à risques définis par le Code du travail, qui doivent toujours bénéficier d’un examen médical d’embauche pris en charge par un médecin du travail. Ces postes dits à risques sont ceux exposés à l’amiante, au rayonnement ionisant, au plomb, aux agents cancérigènes, au risque hyperbare, aux agents biologiques des groupes 3 et 4 ou aux risques de chute, ainsi que des postes nécessitant un examen d’aptitude spécifique prévu par le Code du travail. Il en est de même pour les collègues ou tiers évoluant dans l’environnement immédiat du salarié dit à risque. Une attestation de suivi est remise au travailleur et à l’employeur à l’issue de la visite médicale d’information et de prévention, quel que soit le professionnel de santé qui la réalise.
LE SUIVI MEDICAL EST ESPACÉ
Un autre changement vise le suivi de la santé au travail qui s’effectuait à travers une visite médicale organisée tous les deux ans. Désormais, comme pour la VIP, le suivi n’est plus forcément réalisé par un médecin du travail, et le délai du suivi passe à cinq ans, sauf pour certaines catégories de salariés. Pour les travailleurs titulaires d’une pension d’invalidité, les travailleurs handicapés et les travailleurs de nuit, le délai est de trois ans maximum. Pour les salariés occupant un poste dit à risque, la visite médicale est obligatoire tous les quatre ans et une visite intermédiaire devra être réalisée par un professionnel de santé au plus tard dans les deux ans suivant la visite auprès du médecin du travail. Comme pour la VIP, ces visites de suivi doivent obligatoirement avoir lieu durant le temps de travail du salarié.
L’EMPLOYEUR PLUS IMPLIQUE DANS LE RECLASSEMENT D’UN SALARIE INAPTE
Outre les modalités et les délais d’examen, la procédure de déclaration d’inaptitude d’un travailleur est grandement impactée par la nouvelle loi. « Sur la forme, il était obligatoire jusqu’à la loi El Khomri d’organiser deux visites médicales espacées d’au moins deux semaines, avant de pouvoir déclarer un salarié inapte à son emploi ; désormais, une seule visite suffit », résume Me Pouey. Comme avant, seul le médecin du travail peut déclarer un salarié inapte. Et depuis le 1er janvier, il ne peut le faire qu’à l’issue d’un diagnostic dont les modalités sont décrites par le Code du travail. Cette procédure implique des échanges avec l’employeur. « Ainsi, le médecin du travail ne peut constater l’inaptitude médicale du salarié à son poste de travail que s’il a réalisé au moins un examen médical approfondi de l’intéressé, et surtout s’il a échangé avec l’employeur », précise l’avocat. Ce dialogue vise à voir s’il est possible de mettre en place des mesures d’aménagement, d’adaptation ou de mutation du poste, ou bien de proposer un changement de poste. Et il implique des actions précises, notamment la consultation des délégués du personnel dans les entreprises de plus de 10 salariés. « Auparavant, la consultation des délégués du personnel sur les propositions de reclassement n’était obligatoire que si la cause de l’inaptitude au poste de travail était d’origine professionnelle ; aujourd’hui, les représentants du personnel doivent être systématiquement informés et consultés, même si la cause de l’inaptitude n’est pas professionnelle. Si l’employeur ne consulte pas les délégués du personnel, il devra verser au salarié une indemnité de 12 mois de salaire », souligne Me Pouey. Ce n’est qu’à l’issue de ce travail d’échange entre le service de santé au travail, l’employeur et le salarié que le médecin du travail rendra sa conclusion, et donc déclarera ou non un salarié inapte à son poste. « L’esprit de ces nouvelles dispositions est de permettre au médecin du travail de passer plus de temps avec l’employeur pour trouver une solution de reclassement du salarié », souligne l’avocat. Ainsi, le médecin du travail peut éventuellement proposer à l’employeur l’appui de l’équipe pluridisciplinaire ou celui d’un organisme compétent en matière de maintien en emploi pour mettre en œuvre les indications ou propositions qu’il formule. Reste que parfois, même avec ce travail conjoint, le reclassement ne sera pas possible, en tout cas pas dans l’entreprise ou le salarié inapte refuse un nouveau poste. L’employeur doit alors engager une procédure de licenciement pour inaptitude.
La contestation d’une déclaration d’inaptitude à l’emploi
Salarié ou employeur peuvent s’opposer aux conclusions du médecin du travail qui a déclaré l’inaptitude. En la matière, rien de nouveau, si ce n’est que désormais, cette contestation doit être faite devant le conseil de prud’hommes et non plus auprès de l’inspection du travail. Concrètement, le salarié et l’employeur peuvent saisir le conseil de prud’hommes en référé, dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la décision. La juridiction désignera alors un médecin expert et pourra aussi saisir le Médecin inspecteur. Cette contestation doit porter sur les éléments de nature médicale justifiant l’avis d’inaptitude, les propositions, les conclusions écrites ou les indications émises par le médecin du travail.
Les règles de la consultation des délégués du personnel pour le reclassement d’un salarié déclaré inapte
Dans toute entreprise de plus de 10 salariés, les délégués du personnel doivent désormais être consultés pour toute procédure de reclassement d’un salarié (en CDD ou en CDI) déclaré inapte à son poste par le médecin du travail, que la cause de cette inaptitude soit professionnelle ou non. La consultation des délégués du personnel peut avoir lieu lors d’une réunion ordinaire. En effet, la nouvelle loi ne prévoit pas la nécessité d’une réunion extraordinaire. Avant cette réunion, le chef d’entreprise doit donner toutes les informations nécessaires aux délégués du personnel, afin qu’ils puissent donner leur avis en parfaite connaissance de cause. Pour cela, l’employeur doit leur communiquer des informations sur l’emploi précédemment occupé par le salarié et sur les offres de reclassement qui peuvent lui être proposées au sein de l’entreprise. Il est également obligé de fournir aux représentants des salariés les conclusions du médecin du travail qui a constaté l’inaptitude du salarié à exercer un poste dans l’entreprise. Les délégués du personnel n’ont pas seulement un rôle consultatif. Ils peuvent présenter des propositions et fournir des informations concrètes au médecin du travail et à l’employeur. À défaut d’une information suffisante, la consultation des délégués du personnel sera considérée comme irrégulière.
Texte : Françoise Sigot