Remplacer les documents papier par des fichiers numériques, substituer l’archivage numérique aux chronophages opérations d’archivage papier… Certains en rêvent, d’autres s’en méfient. Loin de faire l’unanimité, la tendance zéro papier gagne du terrain et la législation évolue en sa faveur. Pour autant, en finir avec le papier n’est pas une solution encore adaptée à toutes les organisations, et cet objectif demande de la méthode et des investissements pour être atteint.
Texte : Françoise Sigot
Selon une étude du Gartner Group, une entreprise consacre en moyenne 2 % de son chiffre d’affaires à la gestion du papier nécessaire à son activité. Les exemples sont parfois criants. Ainsi, pour mener à bien une opération relativement classique de vente, on émet – et imprime – un devis, un bon de commande, une confirmation de commande, une ou plusieurs factures, un bon de livraison, des relances… Beaucoup de papier, mais aussi beaucoup d’opérations chronophages et un impact forcément négatif sur l’environnement. D’où la tendance apparue dans les années 2000, avec l’avènement du développement durable, laissant à penser que le zéro papier serait non seulement de nature à préserver notre planète, mais aussi à réaliser de menues économies. Dès lors, comment ne pas s’interroger lorsqu’une étude réalisée par le groupe Esker conclut que la quasi-totalité des opérations de gestion d’une multinationale comme d’une PME s’achève toujours par une feuille tout droit sortie d’une imprimante ? « Parce que le zéro papier n’est pas une utopie, mais ce n’est pas forcément la meilleure chose à faire », tranche Rémy Cognet, directeur du groupe Elan, spécialiste de la gestion documentaire.
« Le zéro papier doit s’accompagner d’une recherche de productivité et parfois cette solution n’est pas la plus productive », ajoute-t-il. Pour cause, bien souvent les entreprises cèdent aux propositions alléchantes leur promettant moult économies en réduisant leur consommation de papier, alors qu’une démarche visant le “zéro papier” implique non seulement la mise en place d’outils, mais aussi d’une organisation pour l’accompagner.
IDENTIFIER CE QUE L’ON PRODUIT
On ne le dira jamais assez, toute démarche d’optimisation des coûts de gestion doit débuter par une analyse fine des pratiques de son entreprise. Avant d’en finir sur un coup de tête avec son fournisseur de papier et d’encre, il faut commencer par regarder comment on utilise ces consommables. « L’objectif est de parvenir à analyser les coûts directs et indirects liés à la gestion des documents produits par l’entreprise. Les coûts directs sont assez simples à évaluer car on dispose de ratios et il est d’usage de considérer que l’émission d’une facture revient à environ 1 euro, ce qui inclut le papier, l’impression et les frais d’envoi. En revanche, les coûts indirects sont composés de ce que l’on appelle le temps-homme, autrement dit le temps que les salariés consacrent aux tâches liées à l’émission d’un document ; et là, il faut tenir compte de l’organisation de l’entreprise afin d’évaluer ces coûts avec précision », détaille Rémy Cognet.
Reste ensuite à comparer la somme de ces frais directs et indirects avec le montant de l’investissement nécessaire à la mise en place d’un outil de dématérialisation, sans oublier de prendre en compte la maintenance. Et de s’assurer que la loi permet bien de dématérialiser les documents de gestion que l’on ne souhaite plus imprimer (voir encadré).
NE PAS OUBLIER LA DIMENSION PSYCHOLOGIQUE
En s’arrêtant à cette dimension purement comptable, il serait assez simple de trancher en faveur ou en défaveur d’une gestion électronique des documents permettant de réduire le papier. Mais ce serait une erreur. « Aujourd’hui, il existe une telle offre de solutions de dématérialisation que les freins ne sont pas liés à la taille de la structure. La gestion électronique des documents est accessible à n’importe quelle entreprise quels que soient sa taille et son secteur d’activité. En revanche, le premier facteur d’échec d’une démarche zéro papier réside dans les freins psychologiques dont font preuve certains salariés ou dirigeants. Pour que la dématérialisation soit un succès, il faut que les acteurs soient aussi promoteurs », insiste le directeur d’Elan. Et il faut en outre que l’ensemble des parties prenantes à une démarche zéro papier partage cet état d’esprit. Car si le chef d’entreprise a priori rétif à la dématérialisation se laisse convaincre par son comptable, il aura certainement le sentiment que le pilotage de sa société lui échappe avec un système de gestion électronique des documents. À l’inverse, un salarié paniqué à l’idée de ne plus avoir de support papier pour accomplir sa mission sera bien moins productif.
Le cadre réglementaire de la dématérialisation des documents
Sous l’impulsion de la tendance forte ancrée dans le développement durable poussant les organisations publiques et privées vers le zéro papier, mais aussi pour simplifier les démarches, la législation évolue beaucoup ces derniers temps. Les principaux textes régissant l’usage de la dématérialisation sont à aller chercher dans la loi dite Macron pour la dématérialisation des factures. La loi El Khomri encadre quant à elle l’usage du bulletin de paie électronique et le règlement européen eIDAS s’intéresse à la confiance numérique, tandis que la réforme du Code civil a introduit la notion de copie numérique fidèle. En voici les points clés.
La gestion des ressources humaines : depuis le 1er janvier 2017 et l’entrée en vigueur de la loi Travail
L’employeur peut proposer à ses salariés la dématérialisation de leurs bulletins de salaire. Ainsi, sauf si le salarié s’y oppose, l’employeur peut remettre les bulletins de paie sous forme électronique, « dans des conditions garantissant l’intégrité, la disponibilité pendant 50 ans ou jusqu’aux 70 ans du salarié, la confidentialité des données et l’accessibilité depuis le Compte personnel d’activité », précisent les textes. De fait, en confiant la gestion de la paie à un tiers, il faut s’assurer que celui-ci est bien en mesure de conserver les bulletins de salaires sur ces longues périodes.
Les documents comptables : la loi s’intéresse surtout aux factures.
Au 1er janvier 2019, les entreprises de 10 à 250 salariés devront transmettre leurs factures aux administrations et collectivités de manière électronique. Les entreprises de moins de 10 personnes seront également concernées par cette obligation à partir du 1er janvier 2020. Dans les échanges entre entreprises du secteur privé, la dématérialisation des factures est également possible. Ainsi, un fournisseur est désormais libre d’opter pour la dématérialisation des factures par défaut, sans besoin d’accord préalable de son client. Les devis et bons de commande peuvent également être dématérialisés.
La copie numérique “fiable” : une ordonnance de février 2016 précise que « la copie fiable a la même force probante que l’original ».
La fiabilité est toutefois laissée à l’appréciation du juge. Mais ce texte stipule qu’« est présumée fiable jusqu’à preuve du contraire toute copie résultant d’une reproduction à l’identique de la forme et du contenu de l’acte, et dont l’intégrité est garantie dans le temps par un procédé conforme à des conditions fixées par décret en Conseil d’État. Si l’original subsiste, sa présentation peut toujours être exigée ». Il faut donc retenir que désormais, les copies réalisées à partir des logiciels classiques du marché et conservés via l’archivage électronique ont la même valeur que les originaux papiers.
La signature électronique : la quête du zéro papier passe nécessairement par la généralisation de la signature électronique qui n’est plus une chimère
Ainsi, quelques banques à l’image de la Caisse d’Épargne Île-de-France proposent ainsi depuis 2015 la signature électronique de documents et de bordereaux dématérialisés pour l’ouverture de livrets A, de plans d’épargne logement ou de comptes-titres, ou pour souscrire à des assurances. Nul doute que le phénomène va s’amplifier puisque depuis 2000, la signature électronique d’un document a en France la même valeur légale qu’une signature manuscrite. Sur le fond, la signature électronique vise à démontrer à un tiers qu’un document numérique a été approuvé par une personne identifiée. C’est l’assurance d’un document fiable et sécurisé. Sur la forme, une clé privée est mise en place, autrement dit un chiffre propre à chaque signataire, qui ne peut être dupliqué. C’est cette clé qui permet d’authentifier le signataire du document.
PAS A PAS
En matière de dématérialisation, comme dans bien d’autres domaines, le bon dosage doit donc être trouvé entre les pour et les contre. « La mise en place d’une démarche zéro papier qui passe nécessairement par la dématérialisation doit être menée pas à pas. Il ne s’agit pas de faire une révolution, mais bien d’aller vers des évolutions. Par ailleurs, avant de généraliser la GED au sein d’une organisation, il est indispensable de s’interroger sur son cœur de métier. Par exemple, pour un piscinier qui passe la majeure partie de son temps sur les chantiers, avoir un outil lui permettant de consulter sur son smartphone ou sur son ordinateur les documents commerciaux comme les devis présente une réelle valeur ajoutée. En revanche, il aura certainement bien moins d’intérêt à investir dans un système de GED pour gérer, si tel est le cas, seulement une dizaine de factures fournisseurs et clients par mois », illustre Rémy Cognet. La piste à suivre est donc d’expliquer et de justifier la mise en place d’un outil de GED. Ensuite, il s’agit de dématérialiser d’abord une partie des documents commerciaux ou comptables ; puis de prendre le temps d’analyser les apports de la GED ou à l’inverse de comprendre pourquoi la solution n’a pas donné satisfaction. À l’issue de ce processus, il sera facile d’aller plus loin ou non dans la dématérialisation. Un préalable toutefois : s’assurer que l’outil choisi est bien évolutif sous peine de se retrouver bloqué si l’on souhaite généraliser la GED…
AGIR SUR L’ARCHIVAGE
Agir sur l’activité quotidienne et les échanges avec les clients et fournisseurs est un bon moyen de faire baisser sa consommation de papier, mais pour réduire de manière drastique les supports papier, de plus en plus d’entreprises ont recours à l’archivage électronique des documents. De quoi diminuer les consommations de papier et les espaces de stockage, tout en ayant accès plus vite aux documents archivés. Aujourd’hui, la majorité des solutions de GED permettent de numériser les documents puis de les indexer et de les classer. Attention toutefois à la législation qui oblige à conserver certains documents en format papier. Cela étant, environ la moitié des supports papier d’une entreprise peut être réduite en optant pour l’archivage numérique. Et en la matière, la législation évolue vite.
Ainsi, depuis le 30 mars 2017, les entreprises peuvent conserver leurs factures papier sous forme électronique pendant le délai fiscal de 6 ans. Reste que là encore, il convient d’analyser ses besoins et d’évaluer les coûts que représentent l’impression et le stockage avant d’opter pour la dématérialisation.